Dr. Emmanuel Ménard : L’état Haïtien doit être reconstruit de fond en comble
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rencontre le Président Ménard de FLR.
CN: Dr. Ménard, vous êtes un acteur politique qui est sur la table des discussions. Comment voyez-vous la situation du pays ?
EM: C’est vrai, j’ai participé à plusieurs rencontres sur la crise haïtienne, dont le Sommet de la Caricom du 11 mars 2024 qui a accouché la formation du CPT. J’ai subi la loi de la majorité sans jamais avoir eu peur d’être en minorité.
J’ai combattu l’idée de cette collégialité à la Présidence de la République mais bon nombre de collègues voulaient le pouvoir et la Caricom cherchaient à se faire une santé diplomatique comme institution facilitatrice.
Il faut admettre que l’Accord du 3 Avril est l’œuvre d’acteurs haïtiens sans aucune présence étrangère.
A ce stade, les neuf secteurs qui ont désigné leur représentant au CPT ont mis à l’écart les autres partenaires qui étaient autour de la table. C’est l’arroseur arrosé puisque les membres du CPT ont par la suite ignoré royalement « l’assemblée des secteurs » au point de ne jamais publier dans le Moniteur ce fameux accord du 3 avril. Et voilà que la Caricom continue avec ces mêmes secteurs et le CPT cherche à se renouveler à travers une autre formule. Actuellement, la Présidence, la Primature et le Gouvernement sont partagés entre certains partis politiques, des personnalités du secteur privé, des groupes de la société civile et inter-foi. Il leur faudra assumer l’échec du CPT et de ses deux gouvernements.
CN: La sécurité s’est complètement dégradée, à votre avis, que faut-il faire ?
EM: C’est une crise globale née de la non-gouvernance de l’État et de conflits post-électoraux.
J’accuse ceux qui ont été au pouvoir ces trois dernières décennies d’avoir réduit l’État en peau de chagrin ; certains par incompétence et d’autres avec une volonté systématique de délinquance politique par la corruption, le trafic illicite et l’armement de certaines zones du pays à des fins politiques et économiques. Aujourd’hui, ils ont perdu le contrôle des bandits et tout à déraper pour donner naissance à ce terrorisme d’un nouveau genre qui contrôle des territoires, l’administration centrale de l’État, la diplomatie, les douanes, les grandes entreprises publiques à caractère financier et toute la frontière avec la République Dominicaine.
Oui, l’insécurité est une grande priorité pour la population. Mais l’ordre ne sera jamais rétabli quand les terroristes sont les rues et aussi dans les couloirs des Pouvoirs d’État. Le départ du CPT et de son gouvernement dans l’immédiat est l’une des conditions pour permettre d’établir un Plan de Transition : la Sécurité, les Réformes, les Mesures sociales et enfin l’organisation d’élections générales dans des conditions acceptables.
CM: Qu’est-ce qui explique, d’après vous, l’échec du CPT ?
EM: La conception même du CPT et la nature de ses géniteurs ne pouvaient augurer de bons résultats. Au départ, trois nébuleuses ont des sièges : Collectif 30 Janvier, Accord de Montana, Accord du 21 Décembre. Viennent ensuite des formations politiques et des ramassis de groupes d’une société civile privatisée. Le seul objectif était de prendre le pouvoir. Et le CPT a réalisé un coup d’État classique !
Ils ont reproduit tout ce qu’ils reprochaient à la bande à Ariel. Il y a un sacrifice à faire : s’engager dans la gestion de la transition ou s’organiser pour prendre le pouvoir aux prochaines élections.
C’est pourquoi, le Consortium Patriotique que je préside et dont la Force Louverturienne Réformiste est membre, avait déposé un Mémoire au Sommet du 11 mars 2024, proposant aux acteurs de rester dans la tradition républicaine haïtienne en choisissant un Président Provisoire de la République issu de la Cour de Cassation. C’est la neutralité supposée du Magistrat qui m’intéresse avec cette solution institutionnelle.
CN: D’autres groupes proposent aussi la Cassation, qu’en est-il exactement ?
EM: Malheureusement, c’est encore la Caricom qui a pris une initiative de rencontrer des acteurs, ceux qui avaient constitué le CPT.
Une grande frange saine de la société n’est pas au courant des discussions menées par la Caricom. Ce serait donc une prime à l’échec et à l’immortalité que d’engager des discussions uniquement avec les membres du CPT et leur géniteur pour sortir de l’impasse. De toute façon, il faudra une nouvelle gouvernance politique à la tête de l’État pour commencer la Transition ; sans une chirurgie urgente pour nettoyer l’État, son appareil répressif et l’ensemble de l’administration publique, le pire est à venir en Haïti. Il y a des mesures courageuses à prendre pour neutraliser les bandits de toute classe sociale, les corrompus et les trafiquants.
Comme toujours, je prendrai les responsabilités qui sont les miennes et j’attendrai le verdict de l’histoire.