23 décembre 2025

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Le retour d’Anténor Firmin

4 min de lecture

Dans les ruelles étroites de Port-au-Prince, où l’air lourd porte encore l’odeur mêlée de mer salée et de poudre oubliée, les ombres s’allongent comme des regrets persistants. En cette nuit de novembre 2025, le ciel au-dessus d’Haïti semble peser plus bas que jamais, chargé de nuages noirs qui étouffent les étoiles. Les gangs rôdent, les élections promises tardent à venir, et les conseillers — ces marionnettes aux sourires polis — chuchotent des accords dans des salons climatisés, loin des cris des mères qui enterrent leurs fils. Ils manquent de dignité, ces hommes en costumes importés, qui vendent l’âme d’une nation contre un chèque étranger ou une promesse de paix factice.

Soudain, un éclat déchire les ténèbres. Pas un éclair, non : une lumière vive, comme si le firmament s’ouvrait pour laisser passer un fantôme en frac victorien. Anténor Firmin descend des cieux, ses bottes cirées foulant les pavés irréguliers sans un bruit. Son visage, marqué par les ans et les injustices, arbore cette barbe fine et ce regard perçant qui défia jadis les salons parisiens. Il tient encore dans sa main son exemplaire usé de De l’égalité des races humaines, bouclier indéfectible contre les mensonges du Nord. « Haïti n’est pas une république bananière », avait-il tonné au XIXᵉ siècle, et voilà qu’il revient, invoqué par le désespoir d’une île meurtrie.


Anténor Firmin (1850-1911) est un intellectuel, diplomate et homme politique haïtien. Auteur de De l’égalité des races humaines, il est l’un des premiers penseurs antiracistes et un précurseur du panafricanisme. Son œuvre défend la dignité, l’égalité et la souveraineté des peuples noirs.

Il marche droit vers l’ambassade des États-Unis, cette forteresse de verre et d’acier qui domine la colline tel un œil vigilant. Les gardes, surpris, abaissent leurs armes : ils sentent que cet homme n’est pas fait de chair ordinaire, mais d’encre et de feu. À l’intérieur, Henry Wooster, le Chargé d’Affaires, sirote un whisky dans son bureau lambrissé. Il vient de boucler une visioconférence avec Washington : davantage de troupes pour la « Force de Suppression des Gangs », des élections sous tutelle, et des fonds pour « stabiliser » ce chaos qu’on appelle Haïti. « C’est pour leur bien », se dit-il, sans comprendre que le mal endémique ne rôde pas seulement dans les rues mais dans ces accords signés à l’encre invisible de l’impérialisme.

La porte s’ouvre sans un bruit. Wooster se redresse, son verre tremblant entre ses doigts. Devant lui apparaît Firmin, spectral, impérial, les yeux incandescents d’une colère séculaire.

« Monsieur l’Ambassadeur », commence-t-il d’une voix qui résonne comme un discours à la Sorbonne, « vous parlez de sécurité, d’élections, de progrès. Mais regardez autour de vous : Haïti agonise sous le poids de vos “aides”. Vos conseillers, ces ombres sans dignité, troquent notre souveraineté contre des mirages. Les États-Unis, ce mal endémique qui ronge nos veines depuis Saint-Domingue, reviennent-ils hanter l’île sous des masques humanitaires ? »

Wooster pâlit, fouillant son esprit pour y trouver une réponse dans un dossier marqué « Priorités stratégiques ».

« Monsieur Firmin… vous êtes une figure historique respectée, mais les temps ont changé. Nous combattons les gangs, nous finançons la reconstruction. Sans nous… »

« Sans vous ? » l’interrompt Firmin avec un sourire amer. Il avance, et l’air se charge d’histoire : les marines de 1915, les Duvalier soutenus par la CIA, les embargos qui affament plus qu’ils ne libèrent.

« Sans vous, Haïti respirerait mieux. Vos “conseillers” manquent de dignité parce qu’ils ont oublié Toussaint, Dessalines, Pétion. Ils signent des résolutions à l’ONU comme on signe des chèques en blanc. Et demain, ce sera encore une occupation déguisée. Affrontez-moi, Wooster : défendez ce poison que vous appelez alliance. Ou bien descendez de votre piédestal et laissez-nous guérir seuls. »

Le diplomate recule, son fauteuil grinçant comme un aveu. Dehors, la nuit s’adoucit : les étoiles percent les nuages et un vent frais transporte un murmure lointain — celui d’un peuple qui, dans ses rêves, sent le retour d’un héros. Firmin ne frappe pas ; il n’en a pas besoin. Ses mots suffisent. Déjà, Wooster compose un numéro vers Washington, la voix tremblante :

« Il y a eu… un incident. »

Au lever du soleil, l’ambassade est fermée « pour raisons de sécurité ». Les conseillers, privés de leur arrogance, s’éclipsent la tête basse. Et quelque part dans les collines, Anténor Firmin s’élève à nouveau, non pas vaincu, mais semeur de doutes. Haïti, cette perle noire, saura-t-elle un jour chasser le mal endémique ? Tant que des voix comme la sienne descendent des cieux, l’espoir demeure. Il suffit d’écouter.


Evens Joncka
Coordonnateur du Salon Révolutionnaire
Ingénieur en Informatique
Spécialiste en Communication Digitale
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