5 octobre 2024

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RÉSUMÉ EXÉCUTIF DU RAPPORT D’ENQUÊTE SUR LE MARCHÉ DERMALOG.

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RÉSUMÉ EXÉCUTIF DU RAPPORT D’ENQUÊTE SUR LE MARCHÉ DERMALOG.

La Commission Éthique et Anti-Corruption du Sénat a été mandatée pour enquêter sur les conditions suspectes entourant un marché de US$27,700,000.00, entre l’Etat Haïtien et une firme de droit allemand du nom de DERMALOG, pour des services relatifs au système d’identification nationale des citoyens haïtiens, et à la gestion des bases de données en découlant.

Le « projet de Contrat » n’est pas daté mais la Commission estime qu’il a été conclu en décembre 2017 et signé en Janvier 2018 au plus tard.

Grace à l’audition de nombreuses personnalités, l’obtention et l’analyse de documents au regard de multiples textes de loi complémentaires, et à la révision de supports audiovisuels clés, la Commission a soumis son rapport le 24 Mai 2019. Quoique certaines personnes d’intérêt aient refusé de coopérer pour la manifestation de la vérité, l’investigation a pu aboutir.

Les travaux sur le dossier DERMALOG ont été conduits dans le but d’élucider les suspicions de corruption dénoncées près la Commission.

Ils ont pu confirmer le bienfondé de la démarche et permettre de fixer les responsabilités de nombreux intervenants ayant imposé la mise en route des travaux de DERMALOG, au mépris des lois en vigueur et de l’efficacité des investissements de l’Etat.

C’est désormais aux juridictions compétentes, disposant de moyens coercitifs, qu’il incombera dès ratification de l’Assemblée, d’approfondir l’interrogatoire de certains acteurs qui se sont dérobés pour l’instant. En attendant, le rapport d’une cinquantaine de pages, a pu mettre en exergue les éléments suivants :

1. Le « marché » pour la mise en place d’un nouveau « système d’identification nationale » a été attribué à la firme DERMALOG de gré à gré, pour un montant de US$ 27,700,000.00, avec la possibilité d’un avenant allant jusqu’à 30% du montant, ce qui permet d’augmenter le marché de US$ 8,310,000.00, sans compétition, à la seule discrétion de l’ONI.

2. La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA) a refusé de le valider le « marché », estimant que l’autorité contractante n’avait pas pu – au regard des prescrits de la loi sur la passation des marchés publics de 2009 et du décret d’application de 2017- présenter un justificatif cohérent pour l’option « gré à gré » (c’est-à-dire sans appel d’offre, même restreint).

3. Ce motif, ainsi qu’un répertoire de violations additionnelles de la loi sur la passation des marchés publics, ont poussé la CSC/CA à donner deux (2) AVIS défavorables.

4. Les AVIS défavorables de la CSC/CA furent émis et motivés en Février et en Avril 2018. La CSC/CA a fourni les raisons détaillées de ses AVIS défavorables, ainsi que ses recommandations -tant sur la forme que sur le fond- pour que le marché puisse être revisité par l’autorité contractante, en vue de répondre aux normes.

5. De fait, la CSC/CA n’a pas ratifié le document contractuel ; et pour preuve, l’espace qui lui avait été réservé sur la page de signature, est demeuré libre de sa signature. On peut y lire la consigne « Approuvé par », juste avant la ligne au sur laquelle aurait dû figurer la signature de la CSC/CA.

6. Pour contourner les objections de la CSC/CA, le Gouvernement a conçu une resolution de Conseil des Ministres, signée le 30 Avril 2018. Ce Conseil délègue au Directeur de l’ONI, M. Jude Jacques Elibert, la responsabilité d’engager une firme pour reformer le système d’identification nationale du pays.

7. Dans un effort pour éliminer le rôle constitutionnel de la CSC/CA, le Gouvernement (incluant le Président de la République, M. Jovenel Moise), a unanimement adopté cette résolution arbitraire qui mandate le Directeur de l’Office National d’Identification (ONI) aux fins d’engager une firme internationale pour reformer le système d’identification nationale.

8. Dans cette resolution qui survient moins de 3 semaines après le dernier avis défavorable de la CSC/CA, il n’est fait aucune mention de DERMALOG, ou de la CSC/CA. Le texte est rédigé de façon à éviter de faire comprendre que DERMALOG dispose déjà d’un accord, et que la CSC/CA refuse de le signer. Le Directeur de l’ONI, sans doute pour brouiller les séquences, dira à l’occasion d’une entrevue en Décembre 2018 que la resolution a été prise à une date antérieure au « contrat ».

9. L’entrée en vigueur du « contrat » (qui est la loi des parties) est assujettie, selon les articles du « contrat » lui-même, à l’approbation de la CSC/CA. La loi le prévoit, mais dans ce cas, le « contrat » le dicte également, en reprenant l’esprit de la loi qui est « d’ordre public ». Sans la signature de la CSC/CA, l’accord est sensé ne jamais être entré en vigueur.

10. L’acte Juridique précède l’acte économique. Aussi, c’est à tort que l’ONI a effectué des versements à la firme DERMALOG. De plus, la clause 4.1 du « contrat » prend le soin de conditionner explicitement les décaissements à l’obtention de la signature de la CSC/CA.

11. Pourtant, la Commission a découvert que plus de 10 millions de dollars americains, avaient été décaissés en faveur de DERMALOG, bien avant Décembre 2018.

Ces décaissements, ont été faits à partir du fonds PETROCARIBE par le BMPAD.

12. L’ancien système d’identification nationale qui a couté plus de 50 millions de dollars americains a été décrété complètement « inutilisable » par l’ONI et le Ministère de la Justice, sans aucun document d’évaluation technique fiable. Les informations avancées pour justifier du remplacement de ce système se sont révélées tantôt inexactes, tantôt peu digne de foi, fournies après le lancement de l’investigation, en guise de défense contre les allégations de corruption.

13. Au cours des auditions, le Directeur Général de l’ONI, M. Jude Jacques Elibert, a affirmé publiquement que c’est la Première Dame Martine Moise, présente avec lui à Cannes, à la grande foire technologique TRUSTECH, qui a fait choix de la firme DERMALOG. Les parlementaires proches du pouvoir ont sollicité un huis clos et convaincu le Directeur de revenir sur ses déclarations.

14. La Première Dame, Mme Martine Moise, consciente des graves implications de ses interventions en faveur de DERMALOG, a tenté, par l’intermédiaire de son service de presse, de nier sa participation dans la mise en place du dossier. Des articles de presse, des images vidéo et autres sources médiatiques, l’ont contredites avec véhémence.

15. Au lieu d’apporter les clarifications utiles, la Premiere Dame s’est depuis lors terrées dans un mutisme, refusant de collaborer avec la Commission, ne serait-ce que pour soumettre les itinéraires de ses voyages en France, dument réclamés par la Commission. Il n’a pas non plus été possible d’obtenir des explications sur le programme « Konte’m mwen Konte » (enregistrement des enfants avec un matricule unique dès la naissance) qu’elle semble avoir, depuis lors, abandonné.

16. Par ailleurs, les importantes modifications annoncées par l’ONI qui poursuit l’implémentation illégale et accélérée du projet DERMALOG depuis janvier 2019, sont en violation de la loi de 2005 sur l’identification nationale. Pour appliquer le programme tel que lancé par l’ONI, La loi en vigueur doit subir des modifications. Le Gouvernement le sait car le Président Jovenel Moise et le Premier Ministre Jacques Guy Lafontant ont signé un texte de loi qui doit accompagner le projet DERMALOG. Ce texte n’a pas encore été voté. Par conséquent, il ne peut être promulgué, et encore moins, mis en application.

17. Les inquiétudes causées par l’absence du cadre légal structurant les nouvelles activités de l’ONI sont accrues par la légèreté avec laquelle se conçoivent et se remplacent les protocoles de traitement, de sauvegarde et d’application des données. Au-delà des questions de performance de l’ONI, le changement de système tel qu’il est en cours, représente une menace pour la sécurité et la confidentialité des registres nationaux.

18. De plus, le nouveau projet d’identification nationale ne saurait pouvoir être rendu pleinement fonctionnel, avec mutation et/ou reconstitution des registres en quelques mois (comme le clame le Gouvernement) ; la durée du « contrat », soit 7 ans, en atteste.

Conclusions etrecommandations : Les libertés prises, hors la loi, pour imposer une firme choisie de gré à gré, dans l’opacité, selon des arguments fallacieux, démontés tantôt par la CSC/CA, tantôt par la Commission dans son analyse des faits, démontrent une mainmise partisane sur l’appareil électoral à partir du contrôle des données d’état civil.

Malgré ses limitations pour contraindre toutes les personnes concernées à témoigner et à lui fournir des documents quand ils s’y refusent, la Commission estime avoir recueilli suffisamment de données pour conclure son rapport et le remettre au Parlement le 25 Mai 2019.

C’est à l’Assemblée que revient désormais, la prérogative de demander aux juridictions compétentes de mettre l’action publique en mouvement contre les grands commis de l’état qui ont : a) violé les lois sur la passation des marchés publics en exécutant les termes d’un marché illégalement convenus avec DERMALOG,

b) se sont rendus complices des faits incriminés en votant une résolution manifestement illégale devant contourner le rôle de contrôle de la CSC/CA ; et

c) ont participé, sans titre ni qualité, à faire aboutir le nouveau registre d’identification nationale en violation de la loi sur la passation des marchés et sur l’identification nationale.

Il s’agit des signataires du « contrat » qui sont L’Etat haïtien est représenté par

A) Le Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique (MJSP) en la personne de son Ministre M. Heidi Fortuné ;

B) le Ministère de l’Economie et des Finances (MEF) en la personne de son Ministre, M. Jude Alix Patrick Salomon et par l’Office Nationale d’identification (ONI) en la personne de son Directeur Général, Monsieur Jude Jacques Elibert, sans une description de leurs attributions. Leurs signatures figurent à la fin du document et leur visa apparait sur toutes les pages du « contrat ». Il s’agit du Gouvernement signataire de la résolution du 30 avril 2017 (parmi lesquels figurent le Président et les membres du gouvernement) ; du Directeur Général de l’ONI, M. Jacques Jude Elibert et de la Première Dame de la République, Mme Martine Moise.

Par ailleurs la Commission recommande au Sénat l’arrêt immédiat des opérations d’émission de nouvelles cartes, et l’annulation du « contrat » DERMALOG dont l’implémentation tel quel, vise l’affaiblissement des gardes fous institutionnels de la nation. Des mesures suspensives comme le maintien en vigueur des cartes existantes s’imposent tandis que la Commission recommande la constitution urgente d’une équipe d’experts pour analyser le mérite d’une nouvelle loi sur l’état civil et l’immatriculation des citoyens. Il convient aussi de recourir aux compétences capables de définir les mesures rationnelles pour assurer l’efficacité de l’ONI, sans sacrifier la protection et le traitement confidentiel des données.

Extrait du Rapport de la Commission Ethique et Anti-Corruption du Senat de la République d’Haiti/Marché DERMALOG/Port-au-Prince, Mai 2019

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