27 juillet 2024

Comment peut-on frapper une femme ? Pourquoi tant d’hommes lèvent-ils la main ou le poing sur leur femme ? Que se passe-t-il dans leur tête à ce moment-là ? Témoignages d’hommes violents et réponses du psychanalyste Alain Legrand.

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L’émotion soulevée par la mort de Marie Trintignant a permis à nouveau de rompre le silence qui entoure souvent les violences contre les femmes. Selon une enquête nationale1, une femme sur dix en France est victime d’agressions physiques, psychologiques ou morales au sein de son couple. Comment et pourquoi celui qui aime se transforme-t-il en bourreau ? Nous avons interrogé Alain Legrand, psychologue et psychanalyste, responsable du centre SOS violences familiales à Paris, qui reçoit les auteurs de violences familiales et conjugales.

Psychologies : Pouvez-vous nous expliquer le processus qui fait qu’à un moment donné dans le conflit, les gestes remplacent les mots ?

Alain Legrand : Dans beaucoup de conflits, les mots accompagnent les coups. Les mots traduisent, dans leur choix et leur intonation, les idées et les motivations qui dominent le psychisme à ce moment-là : la faire taire, la tuer, la traiter de… On croit qu’on frappe parce qu’on n’a plus de mots. Ce n’est pas tout à fait exact. La violence n’est pas d’abord un problème de communication, mais plutôt un problème de contrôle et de gestion des affects : émotions, sentiments, pulsions ou impulsions. On ne trouve plus les mots, parce que les pensées s’emmêlent, deviennent confuses.

Le corps est également sous tension et tout se passe comme si, victime d’une attaque, on risquait de vous détruire. A ce moment-là, on peut ressentir un sentiment d’impuissance, d’anéantissement, de violence intérieure insupportable. On ne supporte pas que l’autre continue à parler ou à se taire, alors que l’on éprouve de tels sentiments et que l’on pense qu’« elle » en est responsable. Le coup part pour arrêter « ça », pour faire taire ce qui est vécu comme une agression.

Avant la gifle, y a-t-il des formes de violence dans la relation ?

Je ne connais pas de cas où il n’y a pas eu, avant, ne serait-ce que des mots, des scènes, une tension sous-jacente… Une situation où la violence physique peut surgir sans qu’il y ait eu de précédents est celle où l’homme découvre sa femme en train de le tromper.

Comment expliquez-vous l’irruption de la violence dans un couple épanoui, plutôt sain ?

Pour moi, une gifle ne peut pas arriver subitement, un jour, dans un couple sain. Il y a forcément une problématique derrière qui a conduit à ce passage à l’acte. Cela ne signifie pas qu’il y aura systématiquement à nouveau des violences physiques, mais il y a de grandes chances que ça advienne si rien n’est dit et posé fermement après cet acte.

Justement, comment réagir pour que ça ne recommence pas ?

La victime doit dire et penser : « La prochaine fois, on ne discute pas, c’est la séparation. » Il faut poser cette limite comme condition à la poursuite de la relation. Sinon, ça recommencera.

Les hommes, après avoir frappé, disent se sentir coupables, honteux. C’est d’ailleurs souvent ce qui empêche leur partenaire de les quitter. Sont-ils sincères ?

Il s’agit plus de honte que de culpabilité. Dans la honte, ce qui se joue concerne surtout le narcissisme, le regard sur soi. Dans la culpabilité, au contraire, on se sent responsable de ce qu’on a infligé à l’autre. Dans bien des cas, ces remords exprimés sont sincères, mais la sincérité n’est pas un gage de cessation des comportements violents. Et tous les auteurs de violences ne se sentent pas coupables ou honteux après leurs actes.

Souvent, les hommes qui frappent se justifient en disant : “Elle m’a poussée à bout” ; qu’est-ce que ça veut dire ?

La véritable question c’est : « Au bout de quoi ? » Pour faire court, on peut dire qu’au bout, c’est l’inconscient. La violence est presque toujours liée à des blessures d’amour-propre, son utilisation est un moyen de reprendre le contrôle sur les événements. Dans ces blessures, il existe des troubles de l’estime de soi, le plus souvent dus à différentes formes de maltraitances dans l’enfance : un père dévalorisant, dur et autoritaire en est l’exemple type. C’est l’enfance qui resurgit alors dans ces situations et vient augmenter la tension éprouvée. Bien entendu, ceci n’est qu’un pan de l’explication.

Un autre argument émerge : “Elle a commencé la première…”

Quelle que soit de la réalité, c’est un argument qui reste dans le domaine de l’infantile. Il peut expliquer la colère ou « la légitime défense », mais pas la décision de résoudre le conflit par l’usage de la force. Et puis, si « elle » commence toujours la première, si « elle » est aussi agressive, aussi humiliante, pourquoi n’arrive-t-il pas à la quitter, à s’en séparer ? Toutes ces questions font, bien sûr, l’objet du travail thérapeutique.

On avance aussi l’explication du “passionnel”.

La passion est violence en elle-même, mais c’est ce que nous sommes qui déterminera si elle peut ou non se traduire par des actes de violence. En général, dans la passion, on n’est pas dans le registre du désir mais dans celui du besoin, du vital. L’autre est un « objet » dont on ne peut se passer sous peine de devoir faire face à un terrible sentiment d’angoisse et de vide. Lorsqu’il existe une faille narcissique, cette dépendance est conflictuelle, car l’autre nous rappelle, par sa simple présence, que nous dépendons de lui pour vivre. Dans les situations de crise sont alors réactivées des choses très sensibles de l’ordre de l’abandon et d’autres angoisses originaires, ce qui déchaîne la violence.

L’homme violent a-t-il envie de tuer ?

Il y a plusieurs façons de penser le meurtre de l’autre. Nous avons tous fantasmé un meurtre. Vous pouvez avoir envie de tuer sans pour autant le faire. Alors oui, l’homme violent a sûrement, parfois, des envies de tuer. Mais, ce qui sera déterminant, c’est la personnalité de cet homme et l’interprétation qu’il fera de ce qu’il vit à ce moment de tension extrême.

Y a-t-il des signes ou des profils de personnalités qui devraient mettre en éveil ?

Il y a des signes, bien sûr, comme la jalousie inappropriée, qui correspond à de la possessivité. Ainsi faut-il faire attention aux hommes qui fouillent dans votre sac, écoutent vos messages, font la tête dès que vous regardez quelqu’un… Là, il faut partir parce que, tôt ou tard, la violence surgira. Le caractère paranoïaque est une autre caractéristique assez fréquente. Y domine, en particulier, la méfiance, le dédain, un certain plaisir à humilier les autres, une rancune tenace.

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