Miami Herald: Scandale de corruption bancaire secoue Haïti et menace la transition soutenue par les États-Unis vers des élections.-
10 min readLe 25 avril 2024, les membres du nouveau Conseil présidentiel de transition en Haïti ont prêté serment, inaugurant une nouvelle ère de gouvernance pour un pays en crise. Chargé de sortir Haïti de sa situation désastreuse et de préparer les prochaines élections, ce conseil devait symboliser l’espoir et le renouveau. Pourtant, seulement un mois après son installation, un scandale de corruption éclate, impliquant trois de ses membres, et met en péril l’ensemble du processus de transition soutenu par les États-Unis.
Une tentative de chantage révélée
L’incident clé du scandale s’est déroulé à l’intérieur de la chambre 408 de l’hôtel Royal Oasis à Pétion-Ville, à l’est de Port-au-Prince. Cet établissement luxueux, avec sa suite présidentielle et son toit offrant une vue sur un bidonville coloré à flanc de montagne, a été le théâtre d’une réunion controversée en mai dernier. Ce jour-là, trois membres du Conseil présidentiel de transition – chargés de redresser le pays – auraient demandé au directeur de la Banque Nationale de Crédit (BNC), Raoul Pierre-Louis, de verser 100 millions de gourdes haïtiennes, soit environ 758 000 dollars américains, pour conserver son poste.
Pierre-Louis, ne disposant pas d’une telle somme en liquide, aurait reçu la réplique cinglante d’un des membres du conseil, Louis Gérald Gilles : « Vous êtes le président d’une banque. Débrouillez-vous. » Le membre du conseil s’est ensuite invité, avec son collègue Smith Augustin, à un dîner chez Pierre-Louis le samedi suivant, où les pressions auraient continué.
Ce récit a été partagé par Pierre-Louis lors de son audition devant l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) du pays. Bien que des rumeurs circulaient déjà sur des demandes de pots-de-vin de la part des membres du conseil, c’est une lettre datée du 24 juillet et adressée au Premier ministre Garry Conille par Pierre-Louis qui a révélé l’affaire au grand jour. Dans cette lettre, Pierre-Louis détaille les accusations et demande une protection renforcée pour lui et sa famille.
Selon le témoignage de Pierre-Louis, les membres du conseil présidentiel Gilles, Augustin et Emmanuel Vertilaire lui auraient signifié qu’il serait remplacé s’il ne payait pas. Tous trois ont nié avec véhémence ces accusations, rejeté les appels à leur démission, et accusé Pierre-Louis de tenter de ternir leur réputation. Gilles a même affirmé que ces accusations visaient à déstabiliser le conseil, composé de sept membres votants et de deux observateurs, partageant le pouvoir avec le Premier ministre Conille.
Une destitution controversée
Le jeudi suivant, Conille a informé Pierre-Louis qu’il était démis de ses fonctions, et qu’une commission prendrait en charge la banque en attendant la nomination d’un nouveau conseil d’administration. Ce type de commission est généralement mis en place pour les banques mal gérées, ce que l’avocat de Pierre-Louis, Sonet Saint-Louis, conteste fermement, soulignant les réussites de son client durant ses quatre années à la tête de la BNC. Pierre-Louis conteste également cette décision.
Répercussions politiques et enjeux internationaux
En Haïti, les accusations de corruption, bien que fréquentes, aboutissent rarement à des poursuites judiciaires pour les hauts fonctionnaires. Cependant, les répercussions de ce scandale pourraient être sévères pour les efforts de transition soutenus par les États-Unis, qui visent à stabiliser le pays avant les premières élections présidentielles et parlementaires depuis neuf ans. Les accusations de corruption risquent de fragiliser davantage la direction déjà précaire du conseil et de fracturer la relation tendue entre le conseil et le Premier ministre.
L’économiste haïtien et observateur de longue date de la politique du pays, Thomas Lalime, a averti que ce scandale représente un danger politique réel. Il rappelle que deux des accusés, Augustin et Gilles, sont appelés à présider le conseil à tour de rôle avant la fin de leur mandat en février 2026, lorsque Haïti devrait élire un nouveau président et un nouveau Parlement, mettant ainsi fin à la transition politique. Augustin doit prendre la présidence en octobre, suivi de Gilles en 2025.
« Nous pourrions arriver à une situation où les élections, censées nous sortir de cette crise, pourraient en réalité l’aggraver », a déclaré Lalime, soulignant que les soupçons de pots-de-vin entachent désormais chaque décision prise pour nommer les postes gouvernementaux.
Une tempête politique
Les scandales politiques sont souvent éphémères en Haïti, où les rumeurs politiques circulent à grande vitesse. Pourtant, les accusations actuelles dominent le cycle médiatique et le discours public depuis plusieurs semaines. Elles ont également déclenché une tempête politique, alors que les politiciens, sentant un orage imminent, se repositionnent dans de nouvelles alliances.
Les partis et coalitions politiques représentés au conseil sont divisés. Les partisans d’Augustin et de Vertilaire, issus des groupes EDE/RED/Compromis Historique et Pitit Desalin, ont défendu les deux hommes. Les membres d’un troisième groupe, la coalition du 21 décembre, sont divisés quant à leur soutien à Gilles. Deux autres groupes représentés au conseil ont exigé la démission des trois membres accusés.
Liné Balthazar, chef du Parti haïtien Tèt Kale (PHTK), a déclaré que ces démissions préserveraient la crédibilité du conseil. Le PHTK fait partie de l’alliance des partis politiques représentée par le président actuel du conseil, Edgard Leblanc Fils. De son côté, l’Accord de Montana, une coalition de groupes civiques dont le plan pour une transition après l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 a donné naissance à l’idée d’un conseil présidentiel et d’un premier ministre nommé, a qualifié ces accusations de « trop graves ».
L’Accord de Montana a accusé les membres du conseil de trahir la lutte contre la corruption et de rester silencieux face aux accusations de pots-de-vin et de détournement de fonds du budget intelligent du Palais national. L’accord accuse également les membres du conseil d’avoir accepté des pots-de-vin de la part d’oligarques.
« Chaque semaine, la population entend parler d’un nouveau scandale », a déclaré le groupe de Montana.
Dans une lettre du 9 août, signée conjointement par l’Accord de Montana et l’alliance soutenant Leblanc, il est demandé à ce dernier, en tant que chef du conseil, de prendre des « mesures de précaution » contre ses collègues, de lancer une enquête interne pour prévenir de futurs scandales et d’ordonner des audits sur tous les aspects de l’administration gouvernementale. La lettre appelle également à des discussions formelles pour éradiquer la corruption.
« Il est inconcevable », peut-on lire dans la lettre, que le conseil « reste silencieux face à des soupçons sérieux de corruption… Malgré les dénonciations publiques, les plaintes formelles et les attentes du public, il est inacceptable que ni les membres du [conseil de transition] ni le chef du gouvernement ne prennent les mesures que la loi, la morale et le contexte politique exigent en de telles circonstances. »
Le Premier ministre Conille n’a pas pris position publiquement. Cependant, lors d’une visite au ministère de l’Intérieur, il a critiqué les politiciens corrompus en général. « Les vrais ennemis du peuple sont les corrupteurs et les corrompus qui dilapident les fonds publics », a-t-il déclaré.
Défenses et contre-attaques
Augustin, l’un des accusés, a confirmé à Radio Métropole qu’il y avait bien eu une réunion à l’hôtel Royal Oasis ainsi qu’une rencontre ultérieure chez Pierre-Louis. Cependant, il a soutenu que l’allégation de chantage est « fabriquée ». Le 30 juillet, Augustin a déposé une plainte en diffamation, donnant à Pierre-Louis 24 heures pour retirer sa « plainte infondée » et exiger des excuses publiques.
L’ancien sénateur Jean-Charles Moïse, dont le parti Pitit Desalin est représenté au conseil présidentiel par Vertilaire, a accusé Pierre-Louis la semaine dernière de manipuler des messages WhatsApp que le banquier et son avocat ont présentés pour étayer leurs accusations. Le parti de Moïse a émis une convocation légale pour que Pierre-Louis authentifie les échanges, sous peine de nouvelles poursuites judiciaires. Le banquier n’a pas réagi publiquement à ces actions en justice.
L’ombre de la mauvaise gestion passée
L’économiste Thomas Lalime a souligné que les accusations de corruption sont préoccupantes, car la BNC avait failli sombrer dans les années 1990 en raison du clientélisme politique et de la mauvaise gestion. Des gouvernements haïtiens successifs ont utilisé la banque commerciale comme vache à lait pour les entreprises d’État et comme moyen d’acheter le soutien parlementaire. Dans le même temps, des hommes d’affaires politiquement connectés ont obtenu des prêts qu’ils n’avaient aucune intention de rembourser.
Affaiblir la banque pour mieux la contrôler ?
L’avocat de Pierre-Louis, Sonet Saint-Louis, a accusé les trois membres du conseil présidentiel de tenter d’affaiblir la Banque Nationale de Crédit (BNC) en exigeant un pot-de-vin qui aurait obligé son client à puiser dans les comptes de la banque. Selon lui, aucun des trois hommes accusés n’a de portefeuille gouvernemental lié au secteur bancaire, cette responsabilité revenant à un autre membre du conseil, Fritz Alphonse Jean, représentant de l’Accord de Montana.
Saint-Louis a également souligné que les deux réunions – celle du 25 mai à l’hôtel et celle du dîner chez Pierre-Louis une semaine plus tard – ont eu lieu alors que le conseil était en train de sélectionner le nouveau conseil d’administration de la BNC. Il a remis en question la légitimité de ces rencontres en demandant pourquoi une réunion impliquant une banque d’État ne s’était pas tenue dans les bureaux présidentiels et pourquoi elle avait eu lieu après les heures de bureau.
Sous la loi haïtienne, a ajouté Saint-Louis, la charge de la preuve concernant l’accusation de pot-de-vin repose sur les membres du conseil accusés, et non sur son client. Il a aussi révélé que les trois membres accusés sont les seuls au sein du comité présidentiel à détenir des cartes de crédit avec des limites de 20 000 dollars, qu’ils auraient sollicitées auprès de Raoul Pierre-Louis.
Le Conseil présidentiel sous le feu des scandales
Depuis sa formation le 3 avril, le Conseil présidentiel haïtien a traversé une période tumultueuse. Bien qu’il ait réussi à nommer un nouveau Premier ministre, accueilli une force multinationale dirigée par le Kenya pour affronter les gangs violents, et commencé à constituer un conseil électoral pour organiser les élections, ses actions ont été marquées par des controverses.
Les membres du conseil semblent en effet s’être concentrés sur la récompense de leurs partisans et membres de leurs partis avec des postes gouvernementaux. L’une des zones sous surveillance est la nomination des directeurs dans les ministères et les agences gouvernementales.
Un directeur a confié au Miami Herald avoir été approché par une personne proche d’un membre du Conseil présidentiel, lui demandant un pot-de-vin de près de 300 000 dollars pour conserver son poste. L’officiel a refusé de payer.
Les trois ex-premiers ministres des Caraïbes entrent en scène
Le dimanche suivant, trois anciens premiers ministres des Caraïbes, qui avaient participé aux négociations politiques initiales ayant mené à la création du Conseil présidentiel, sont arrivés à Port-au-Prince à l’invitation du président du conseil, Edgard Leblanc Fils. Ces dirigeants caribéens se sont penchés sur les efforts de la mission dirigée par le Kenya, ainsi que sur les relations entre Conille et le conseil. Cependant, ils ont également exprimé leur inquiétude face au scandale de corruption.
Brian Nichols, le principal diplomate américain pour l’hémisphère occidental, qui a visité Haïti le mois dernier, a déclaré que la nomination des directeurs dans le gouvernement haïtien est « une étape de gouvernance vraiment importante ». Il a ajouté : « Nous espérons et nous attendons à ce que des individus de haute qualité, talentueux et techniquement compétents obtiennent ces postes et soient capables de fournir une supervision et un leadership au sein des ministères pour leur permettre de mener à bien leur travail. »
Nichols a également souligné que « la question de la transparence et de la lutte contre la corruption en Haïti est un sujet qui est à l’ordre du jour depuis des générations », un sujet que les responsables américains ont abordé clairement lors de leurs conversations avec Conille et le Conseil présidentiel.
Une corruption enracinée dans la société haïtienne
Hérold Jean-François, journaliste et analyste politique basé à Port-au-Prince, estime qu’Haïti est à un moment crucial, alors que des millions de personnes luttent pour nourrir leurs familles face à la montée de la violence des gangs. Selon lui, les Haïtiens sont exaspérés par la corruption.
« Les gens trouvent cela scandaleux », a-t-il déclaré, faisant référence aux accusations de pots-de-vin contre les membres du conseil. Mais il a également souligné que la corruption est ancrée dans l’histoire séculaire d’Haïti, ayant épuisé les ressources du pays. « Le fait que des personnes au gouvernement détournent tout cet argent pour s’enrichir eux-mêmes et leurs familles est un crime contre l’humanité », a-t-il affirmé. « Le pays a besoin de dirigeants qui se préoccupent des problèmes et non de leur enrichissement personnel. »
Alors que le scandale continue de faire rage, les conséquences pour Haïti et pour les efforts internationaux de stabilisation du pays sont encore incertaines. Si les accusations s’avèrent fondées, elles pourraient gravement compromettre la crédibilité du Conseil présidentiel et mettre en péril les prochaines étapes de la transition vers une gouvernance démocratique en Haïti.
Source: Jacqueline Charles, Journaliste pour le Miami Herald
Ces trois conseillers présidentiels quitteront le conseil présidentiel.
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